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la junon.

s’était rouverte. Trois pompes sont mises en mouvement, mais le sable engorge les tuyaux et l’eau monte toujours. On risque le tout pour le tout. On met toutes voiles dehors, depuis les grandes voiles jusqu’aux bonnettes et on essaye de gagner le point le plus rapproché de la côte de Coromandel.

Le navire dès lors marcha rapidement, mais comme l’équipage était aux pompes, personne ne songeait à la manœuvre. Le vent enleva nos voiles à l’exception de la misaine et nous fûmes obligés de mettre en travers.

Nous enfonçons peu à peu, car l’eau gagne le premier pont. On oriente la misaine pour marcher vent arrière, à sec.

Le soir, vers sept heures, on sentit deux ou trois secousses et l’on entendit comme des gémissements. C’était le navire qui s’enfonçait de plus en plus. Les vaisseaux ont leur agonie comme les hommes, ils se plaignent et se raidissent.

Les Lascars qui avaient déjà refusé de travailler se révoltent et veulent mettre les embarcations à la mer, mais il n’y a à bord qu’un vieux canot et une péniche à six avirons. Personne ne peut s’en servir. Le seul moyen qu’on ait de se soutenir sur l’eau pendant quelque temps, c’est de couper le grand mât. Aussitôt dit, aussitôt fait. Par malheur le mât, au lieu de tomber dans la mer, tomba sur le pont en tuant les hommes qui sont au gouvernail… La Junon embarque aussitôt une lame énorme et l’eau pénètre de tous côtés. On avait cru retarder la catastrophe. On venait de la hâter.

— Nous sombrons ! nous coulons bas ! ce cri retentit de tous côtés.

En sentant le bâtiment se dérober sous ses pieds, le capitaine vole au secours de sa femme, mais ses pieds s’embarrassent dans les cordages, et il n’a que le temps de me crier :

— Ma femme !

Je m’élance vers l’écoutille et j’aide la pauvre femme à sortir.