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la junon.

les bras croisés et l’air légèrement ironique, qu’il crispa les poings et s’arrêta tout court.

— Eh bien, fit-on à la ronde.

— Oh ! le Breton est là. Il ne parlera pas, dit le capitaine à l’oreille de son neveu.

— Non. Je ne parlerai pas devant cet oiseau-là, riposta Clinfoc qui avait entendu.

— Et vous faites bien, ce que vous auriez conté ne vaut pas ce que je conterai si monsieur Paul me donne la parole, dit le Breton avec son sourire moqueur.

— Ne lui donnez pas la parole, monsieur Paul !

— Yvonnec, je vous serai bien obligé d’attendre que Clinfoc ait parlé, dit Paul.

— C’est ça, cria le vieux matelot, il faut la permission du Breton, à cette heure. Je veux avoir le dernier, moi. Qu’il parle d’abord ! Je lui cède le pas.

— Monsieur Paul, dit Yvonnec, sans plus tarder, il ne fallait rien moins que le malheur arrivé au Jean-Baptiste pour me délier la langue.

— Je te la couperai quelque jour, murmura Clinfoc.

— Comme vous allez bientôt nous quitter, je ne veux pas vous laisser partir sans vous raconter un de mes plus sensibles souvenirs. Clinfoc, qui a le bonheur de rester près de vous, aura tout le temps de causer : mes amis et moi nous vous demandons ce dernier sacrifice, d’autant plus grand qu’un naufrage n’est pas chose agréable à entendre, mais celui que j’ai sur les lèvres et dont je n’aurais pas parlé à tout autre moment mérite votre attention.

En mai 1835, j’étais à Rangoun, sans place, c’est-à-dire sans navire. Dans le port était un bâtiment appelé la Junon qui était en partance pour Madras. Son second maître venait de mourir. Le capitaine cherchait, pour le remplacer, un homme qui connût