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antenolle.

divan crasseux, le gouverneur rendait ses arrêts en fumant sa pipe. Mais à peine y fûmes-nous entrés, que nous vîmes se lever un homme assez grand, vêtu d’un costume de capitaine de corsaire, qui s’écria :

— Voilà mes matelots et leurs nouveaux camarades. Pourquoi enchaînés ? Quelle est cette violence ?

Le gouverneur pâlit. Il avait espéré se venger au moins sur nous, et il comptait que notre arrivée précéderait ou suivrait le départ du capitaine Cuisinier, — c’était le nom du négrier corsaire qui avait sauvé notre maître Tranche-liard et ses dignes camarades.

Il n’avait pas froid aux yeux, le capitaine Cuisinier, et le gouverneur qui était en relations d’affaires avec lui, le redoutait beaucoup. Aussi fit-il patte douce, ordonna qu’on nous déliât les mains et qu’on nous rendît à la liberté sans conditions, et se prosterna devant Cuisinier qui venait de lui faire gagner beaucoup d’argent en le débarrassant d’un grand nombre de nègres, qu’il avait volés à un négrier, pour se rattraper de ce que Tranche-liard lui avait fait perdre.

Nous étions sauvés, et pourtant nous ne fûmes certains de l’être qu’à bord du Tigre, nom du vaisseau négrier qui nous ralliait. La malechance nous poursuivait, car nous ne fûmes jamais plus en danger que sur ce maudit vaisseau.

Tout à la joie d’avoir retrouvé mon vieux Tombaleau et de quitter cette île maudite de Zanzibar, je ne m’occupai plus qu’à me soigner, — le mal de mer m’avait repris de plus belle ! — quand j’entendis crier, par la vigie, ce mot qui fait toujours dresser l’oreille aux négrier :

— Voile ! forte corvette ; qui gouverne pour nous accoster sous le vent !

— Oh, oh ! murmura le capitaine, c’est un Anglais. Ça sent la poudre. J’ai moyen de lui échapper.