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antenolle.

grand devant la résistance des esclaves et notre propre fatigue. Déjà le capitaine est tombé frappé d’un coup de bouteille à la tête. Tombaleau, qui glisse sur le fronton, est saisi par les nègres qui l’entraînent, et moi, ne me connaissant plus, je me suis élancé au secours de mon matelot. Le lieutenant, et les autres matelots, ne pouvant pas nous laisser périr sans défense, s’abattent du haut de la dunette sur la foule des révoltés.

C’est à coups de poignard que nous nous frayons un passage dans les rangs des esclaves, qui nous entourent, nous pressent, nous étouffent et paralysent nos mouvements. Un miracle peut seul nous sauver. Le miracle arrive pour nous débarrasser de nos ennemis, mais pour nous mettre dans une position plus périlleuse.

Trop occupés de nous battre pour nous occuper des manœuvres, personne ne fit attention à l’état de la mer et au navire. Un grain banc venait de nous assaillir et le gouvernail étant abandonné, la Blanchette s’inclina d’une façon tellement effrayante que le désarrimage le plus complet s’ensuivit. Hommes et objets roulent pêle-mêle et avec fracas du côté du tribord. Nous essayons de nous relever, un torrent d’eau nous renverse, on s’accroche à la mâture et aux points de la carène que la mer n’a pas envahis et nous regardons d’un œil hébété les vagues qui bondissent et nous couvrent de leur écume.

La corvette a chaviré et s’est couchée sur le côté. Heureusement qu’elle ne s’enfonce pas dans l’abîme, mais une minute d’hésitation peut nous perdre. Si la tempête arrive, nous sommes infailliblement perdus. Le capitaine revenu de son évanouissement et quoique faible encore donne les ordres.

— Lieutenant, dit-il, sautez dans le canot avec le charpentier et allez détacher en toute hâte les épaves qui nous aideront à construire un radeau.

On se rappelle que ce canot était la seule embarcation que nous