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antenolle.

— Gare aux pigeons ! s’écrie Tombaleau en traînant un sac de toile, grossière.

Ces pigeons sont des espèces de clous à quatre pointes très-aiguës dont une extrémité se trouve toujours relevée. C’est d’un excellent secours à bord des négriers, car les esclaves, dont les pieds et les jambes sont nus, ne peuvent franchir ces dangereux obstacles. C’est ce qui arriva.

À la vue de ces pointes redoutables dont, grâce à Tombaleau, le pont fut inondé, les esclaves, épouvantés, s’arrêtent au milieu de leur élan. Leurs cris de fureur redoublent et ils nous jettent à la tête leurs gamelles et des barres de fer. Pendant ce temps, les derniers rangs des esclaves, qui ne savent pourquoi les premiers se sont arrêtés, passent sur eux et montent à l’assaut.

— Allons, dit le capitaine, avec un profond soupir, la vie avant la fortune. Feu sur ces gredins et ajustez de votre mieux, bien que chaque coup doive me coûter mille francs !…

À peine cet ordre est-il donné, que fusils et pistolets commencent leur œuvre. Chaque balle trouve un corps. Le sang coule partout, mais la rage des révoltés est telle qu’ils ne reculent pas, et, pour éviter de marcher sur les pigeons, ils se servent des cadavres des leurs, qu’ils entassent et montent sur cette barricade de chair humaine pour nous atteindre.

Impossible de charger nos armes. Cela demande trop de temps. Nous nous servons de longues piques et de sabres. C’est un affreux carnage.

Moi, je ne suis plus malade ou plutôt je deviens enragé. À côté de Tombaleau, dont la hache abat beaucoup de victimes et qu’on est obligé de retenir, car, emporté par son ardeur, il va se précipiter au milieu des nègres, je suis un des combattants les plus furieux.

Certes, de tous les hommes de l’équipage, j’ai le plus pâli et