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antenolle.

hameçons pour la pêche, on allongea une immense touée qui s’étendait du navire jusqu’au nord de la ville. Sur cette touée on halerait le navire sans avoir besoin de voiles.

Dès que la nuit fut venue, on commença à haler la Blanchette dans le plus grand silence. Une fois que le navire fut en dehors de la partie nord de la ville, à l’abri de la surveillance des sentinelles, nous levâmes toutes nos voiles à la brise de la terre. Bientôt, nos voiles orientées et favorisées par le vent, nous voguâmes pleins d’espoir, en adressant un adieu ironique à la douane de Zanzibar.

Quant à nos gardiens arabes, qu’on avait enivrés plus que de coutume, ils ronflaient si bien que leur sommeil ne fut pas troublé par nos cris de triomphe. Mais il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, car, au moment où nous chantions victoire, la brise tomba tout à coup et fut remplacée par un calme tellement plat, que nous ne pûmes résister au courant qui nous poussait vers la ville. Il nous fallut mouiller nos voiles à deux lieues de la rade. L’intention du capitaine était de déposer nos douaniers endormis à l’extrémité de l’île. Ce contre-temps aurait dû le faire changer d’avis, et pourtant on résolut de les descendre dans leur embarcation que nous traînions à la remorque, pour les abandonner au courant qui les ramènerait à la côte.

On les réveilla et Dieu sait quelle figure ils firent en apprenant notre escapade. Quelques minutes après, jetés dans leur canot, ils disparurent à nos yeux emportés par le courant. Leurs menaces et leurs imprécations retentirent dans le silence de la nuit et, moi, qui avais tant ri de leur grotesque figure quand je les eus réveillés, je me sentis froid dans le dos en les entendant jurer comme des païens qu’ils étaient, les Arabes.

Vers deux heures du matin le tonnerre éclata, signe de calme