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six semaines dans un phare.

il s’était saisi lui-même. Une vague les pousse, les soulève et les jette sur la plage. Une deuxième vague les reprend, et, au moment où son maître va disparaître, l’esclave le saisit en se cramponnant au sol. La foule les entoure, leur prodigue ses soins. Ils sont sauvés !

Zambalah, sans rien dire, se rejette à la mer. Il y avait six nègres dans l’embarcation. Il faut les sauver. Mais le flot ne le veut pas et par trois fois le rejette seul sur le rivage.

— Tu es libre, Zambalah, lui dit son maître, et je serai fidèle à ma parole.

En effet, l’esclave le lendemain partait pour Calcutta sur un navire, où il prit passage en qualité de matelot. Il en revint avec un bras de moins, car il eut le bonheur d’y rencontrer le capitaine négrier qui l’avait fait prisonnier dans la Sénégambie, et l’avait tué dans un combat à outrance. Quand on lui en parlait :

— Le Portugais ne mentira plus. Il m’en a coûté un bras, mais j’y ai mis bon ordre, disait-il, en se gonflant les narines de joie.

Depuis, il vit à Bourbon comme un sauvage qu’il est, mais il est libre !

Mais je reprends mon récit, car si je me laissais emporter par mes souvenirs, je n’en finirais plus de vous raconter des histoires de nègres et de négriers, d’autant mieux que mon histoire va encore rouler sur ces moricauds !

Donc, notre chargement était au grand complet, il ne nous restait plus qu’à mettre à la voile ; mais il fallait avant notre départ subir la visite de la douane. Or, nous avions embarqué cent cinquante esclaves en contrebande. Qu’allait-il se passer ?

Le capitaine résolut de partir et de s’acquitter avec les bagnes du petit foc, autrement dit, de lever le pied sans payer ! Voici ce qu’il imagina : comme on ne pouvait appareiller du mouillage même, à cause du bruit de la manœuvre, sous prétexte d’installer une palangre, c’est-à-dire un grand cordage avec des