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six semaines dans un phare.

C’était notre ami Noël qui venait de tomber dans les flots. On jette la bouée de sauvetage. La barre mise dessous force le navire à prendre le travers, et on se précipite sur le gaillard d’arrière pour mettre à l’eau le canot suspendu en porte-manteau. Par malheur, le vent revient avec plus de force, la lune disparaît dans les nuages, et c’est à grand’peine qu’on affale le canot à l’eau avec deux fanaux allumés. Un énorme ressac roule le canot et éteint un fanal. Impossible d’y descendre. Le capitaine ordonne les manœuvres pour laisser arriver sous le vent et le navire obéit à la manœuvre, en laissant sur la mer notre canot, dont on voyait le fanal ballotté par la vague.

Nous courûmes une bordée pour nous éloigner du lieu du sinistre, les yeux toujours fixés sur cette malheureuse lumière. Enfin l’ouragan se calma de nouveau, et deux heures après nous nous retrouvions près de notre canot, dont le fanal projetait encore quelques lueurs mourantes. Dans le canot, notre camarade agenouillé nous tendait les bras. Vous dire notre joie est inutile, ça me serait du reste impossible à raconter.

Dès le matin, nous laissions tomber notre ancre au milieu d’un nombre considérable de navires dont pas un n’était français, devant le riche comptoir de l’île de Zanzibar. Notre capitaine s’occupa immédiatement de sa cargaison d’ébène, comme il appelait les nègres.

— Eh bien ! me dit Tombaleau, ça va-t-il mieux ?

— Ça ne va pas plus mal, répondis-je, et je crois que j’achèverai le voyage dans de bonnes dispositions, s’il plaît à Dieu et à mon estomac.

— Oh ! fit-il avec amertume, nous ne sommes pas au bout. N’oublie pas que nous sommes partis un vendredi. Ce qui nous est arrivé, la mort du second, les tigres, la tempête, le bain de pieds de Noël, ce n’est que le commencement du commencement. Je ris au nez du grognon qui, sans se fâcher, ajouta :