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six semaines dans un phare.

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la gorge redoublait sa rage, et, dans un dernier effort, il allait embarquer, quand je relevai la tête.

En se sauvant, le lieutenant avait jeté son fusil dans le fond du canot. J’étais couché dessus. Les autres fusils n’avaient pu servir. L’amorce seule avait brûlé. Mais celui-là était bien armé. Je le saisis, et mettant en joue le monstre :

— Ah ! brigand ! m’écriai-je, ça t’apprendra à me faire si peur !

Le coup partit et le tigre, foudroyé à bout portant, roula dans la mer et disparut sous une nappe de sang ! Puis sans autres explications, nous appuyâmes sur les avirons et nous prîmes la mer, nous souciant très-peu de recommencer le combat, si le deuxième tigre venait à la charge.

Une fois hors de danger, on chercha à se rendre compte de ce qui s’était passé. D’abord, on me fit des compliments, mais j’étais redevenu si pâle et si tremblant que personne ne put me rassurer. Je croyais voir des tigres partout.

— Même dans l’eau, dit Clinfoc d’une voix railleuse. Il nous la baillerait belle, Antenolle, si on ne savait pas que les tigres comme les chats ont horreur de l’eau.

— Possible, reprit Antenolle vexé. Mais Tombaleau nous expliqua pourquoi, car ce fut le lieutenant qui, avant vous, monsieur ! — et il appuya sur ce mot monsieur ! — s’en était étonné. En courant sur la plage pour nous rejoindre, il avait bousculé dans le ressac d’un ruisseau un animal auquel il donna un tel coup de pied qu’il l’envoya à la mer, dont le courant l’emporta en dérive. Or, cet animal n’était autre qu’un jeune et petit tigre. La tigresse ne s’était précipitée à la mer que pour ressaisir son nourrisson, qu’elle croyait que nous emportions. Une mère se jetterait au feu pour sauver son petit, à plus forte raison quand c’est à l’eau et qu’elle sait nager !…

Quant à cette grande masse noire, nous sûmes le soir qu’un