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six semaines dans un phare.

perdu. C’est une lutte curieuse, celle de la gourmandise contre la peur. Aussitôt que les deux ennemis se sont aperçus, le poisson volant prend son élan, s’élève dans l’air, puis rase les flots avec une rapidité qui tient du vertige. La fraîcheur de l’eau entretient l’humidité de ses ailes, et la brise dont il suit la direction aide à la rapidité de son vol : mais la dorade n’a pas perdu de vue sa proie, nageant sur le flanc pour mieux la guetter, elle effleure à peine la surface de l’eau et poursuit sa chasse avec acharnement, jusqu’à ce que le pauvre petit mousse, ne pouvant retremper ses ailes dont l’air sèche l’humidité, s’incline comme un navire démâté et tombe dans les dents de la dorade qui le saisit d’un bond.

Quelquefois la dorade en est pour ses frais. Le petit poisson, au lieu de s’envoler avec rapidité, se laisse dépasser par son ennemi, puis, faisant une volte, retrempe ses ailes dans la mer et se sauve en battant une contre-marche.

Très-curieux, je vous assure, ce spectacle, surtout quand on n’est pas malade en le contemplant.

Le capitaine ne m’avait pas pris à son service pour admirer les dorades et plaindre les poissons volants ; aussi était-il très-mécontent de moi et, sans la protection de Tombaleau, il m’aurait guéri à coups de garcette. Maître Tranche-liard me promit de me laisser à terre à la première occasion si je ne me guérissais pas. Cette promesse menaçante me donna à réfléchir et je tâchai de me surmonter. Peine inutile !

Enfin, onze jours après notre départ, nous mouillâmes à une petite île portugaise située à l’embouchure du canal de Mozambique. Un amas de cabanes obscures privées d’air et entourées de mauvais jardins mal entretenus, constituait toute la ville. Au milieu, une masure à un étage, un fortin en ruines, une chapelle représentaient les monuments. La masure était le palais du gouverneur, gardé par un officier, un fifre, un tambour et