Page:Garnier - Six semaines dans un phare, 1862.djvu/314

Cette page a été validée par deux contributeurs.
304
six semaines dans un phare.

comme j’essayais de la déchiffrer sans pouvoir y arriver, le docteur me la lut à haute voix. Je pleurai en l’écoutant. Quand elle fut finie de lire, je pleurai encore et je m’endormis en sanglotant. De toute la nuit, je ne me réveillai point et je n’eus ni fièvre ni délire. Le lendemain le délire et la fièvre revinrent. Le docteur, qui ne savait plus quel remède employer, eut une inspiration. Il recommença à me lire tout haut la lettre de ma grand’mère. Je pleurai encore comme j’avais pleuré la veille et je m’endormis encore d’un sommeil tranquille. Et ce remède-là, le docteur l’employa jusqu’à notre arrivée au mouillage. Il me sauva la vie avec cette lettre qu’un navire venant du Havre m’apportait quelques mois auparavant et que je jetai au fond de mon coffre. On me recommandait, dans cette lettre, d’être sage, bon marin et de faire des économies afin de pouvoir habiller de neuf ma jeune sœur qui attendait mon retour pour faire sa première communion. Et la bonne grand’mère ajoutait qu’elle avait à mon intention offert un cierge à Notre-Dame d’Honfleur ! Vous voyez bien, capitaine, qu’en passant par les lèvres d’une vieille mère, une prière à la Vierge n’est pas à dédaigner pour les marins, — peut-être bien aussi endurcis que moi.

Cette anecdote valut à Antenolle un murmure de satisfaction et une poignée de main du Breton qui entrait pour annoncer l’heure du dîner.

Comme le docteur n’était pas venu, bien qu’on l’attendît, Chasse-Marée renvoya tout le monde, sauf le capitaine et Clinfoc qui restèrent pour l’aider à panser le blessé.

Le soir, à la nuit tombante, Paul voyant réunis autour de lui tous les marins du phare, sauf Antenolle et Cartahut qui, étant de service, ne devaient revenir que plus tard, s’adressa d’abord à son oncle :

— Mon oncle, vous m’avez mis l’eau à la bouche avec toutes vos histoires fantastiques. Je vous en prie, si vous en connaissez