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superstitions des marins.

ils finissent par croire comme à la réalité. Ils ont besoin de croire à quelque chose et comme ils sont très-sceptiques de leur naturel, ils sont portés à croire à tout ce qu’ils ne peuvent ni voir ni toucher. Deux figures jouent un rôle énergique dans leurs croyances : d’abord Satan, qu’ils craignent… comme le diable ; et puis surtout la Vierge qu’ils aiment et adorent comme ils aiment ou adorent leur mère. Que de fois n’a-t-on pas vu des marins gravir à genoux des montagnes à la pente rude et pénible, pour aller remercier la Vierge qui les a sauvés de la tempête. Car il est à remarquer que presque toutes les chapelles sont bâties sur les côtes comme un point de reconnaissance pour les navigateurs. Ce sont les phares pour les yeux de la foi.

Un profond silence suivit ces paroles. Le capitaine reprit :

— Au retour d’un voyage, je n’ai jamais manqué de faire un pèlerinage à la chapelle de la Vierge, dans quelque endroit qu’elle fût élevée. Ces lieux saints ont un charme mystérieux et consolant. Quand tout manque ici-bas, quand, tout secours est impuissant et que la science humaine a dit son dernier mot, c’est là qu’on vient se jeter pour demander la guérison du corps ou de l’âme. Les grandes peines appellent la grande foi. Que ce soit à Notre-Dame de Grâce, au haut de cette ravissante colline qui domine Honfleur ; que ce soit à Notre-Dame de la Garde, au haut de cette montagne aride d’où la sainte Mère étend ses deux bras sur la vieille cité phocéenne ; que ce soit à la Sainte-Baume, au milieu des rochers où la Madeleine marchait pieds nus ; que ce soit dans une plaine aride comme à la Délivrande ou bien au milieu d’un mélancolique paysage comme Sainte-Anne d’Auray, jamais même le plus incrédule n’entrera dans un de ces sanctuaires bien-aimés sans se sentir involontairement pris de respect et d’émotion. Tant de genoux ont usé ces dalles ! Tant de fleurs ont été suspendues à ces autels, tant d’offrandes à ces murs !… Tout