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six semaines dans un phare.

entrevu la figure de son jeune maître. Mais il n’y avait pas moyen. En France, — est-ce un bien, est-ce un mal ? nous ne sommes pas compétents pour le juger, — ce n’est pas comme en Belgique et en Allemagne, où les gares sont ouvertes à tout venant. Il faut attendre au dehors ou dans de petites salles, derrière des grillages, sans avoir le droit d’aller se promener sur le quai. Aussi Clinfoc faisait-il les cent pas sur la place, guettant de l’oreille le sifflet du train et, de l’œil, le panache de la locomotive.

Justement, ce jour-là, le train était en retard, ce qui n’est pas étonnant pour un express. Et comme Clinfoc était en avance, il s’ensuivit pour lui plus d’une heure désagréable à attendre. Cependant, grâce aux complaisances d’un facteur de la gare, il put violer la consigne et aller s’asseoir sous la halle. C’est de là qu’il s’élança vers le train dont le sifflet annonçait l’arrivée.

Paul avait la tête à la portière : Clinfoc eut peine à le reconnaître, et il n’aurait pas bougé s’il n’avait vu le père Vent-Debout derrière le jeune homme qui lui criait :

— Bonjour Clinfoc, ça va bien ?

— Le petit ! pas possible.

Et il arriva juste au moment pour recevoir dans ses bras « leur neveu. »

— Comme tu es changé, petit !… Bonjour, mon capitaine. Bien portant ? moi aussi. Mais regardez-moi ce grand gaillard-là !

— Avec ça que j’ai attendu d’être à Royan pour le regarder.

Paul allait avoir seize ans, c’est l’âge où l’homme se dégage de son adolescence. Encore enfant comme caractère, il a des tendances à prendre toutes les allures masculines et veut être homme de fait, ne l’étant pas de droit. Il parle haut, lève la tête, cligne des yeux en regardant ceux qui passent, frise la moustache… qu’il aura un jour, et fume des cigares qui lui font mal. Il ne veut pas qu’on le prenne pour un collégien, et sa plus