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yvonnec le breton.

qui l’étranglait et alla bravement au-devant des fantômes que la nuit émiettait dans ses ombres. Depuis, Yvonnec n’eut plus peur. Cette nuit en fit un brave, et pétrifia son cœur au point qu’il ne battit plus à aucune émotion. Jamais un moment de faiblesse, jamais un signe de pitié, jamais un souci du danger ne firent plisser son front, remuer sa lèvre, mouiller ses yeux. La parole elle-même se glaça au fond de son gosier et, muet, triste et doux, il s’avança avec indifférence dans la vie qui depuis son berceau ne lui donnait que des désenchantements.

Il avait fini le lendemain par trouver un asile dans une barque, et un père dans un vieux pêcheur qui lui apprit son état de marin. Vie bien âpre et bien rude que celle des pêcheurs de l’Océan ! ce fut une dure école pour Yvonnec : un lambeau de voile lui servit de couchette ; son premier jouet fut un sabot invalide qu’il s’efforça de transformer en navire, en lui taillant un gouvernail avec un grossier eustache dans un morceau de sapin et en le lestant d’une fausse quille de plomb, fondue d’une vieille cuiller ! Pas de livres, le pêcheur ne savait ni lire ni écrire… Ce fut ainsi qu’Yvonnec atteignit ses quinze ans !…

Un jour le vieux pêcheur l’emmena dans un voyage en mer. On allait, je crois, en Islande. Et voilà le mousse qui tient la barre pendant que le vieux file l’écoute, halant sur l’aviron pendant le calme ou amorçant la ligne. Ses yeux s’habituent vite à percer les nuageuses limites de l’horizon, et à lire avec lucidité dans le lointain. Il apprend tout ce qu’un matelot doit savoir. Le pêcheur étant venu à mourir pendant le voyage, il prit tout seul la direction de la barque, qu’une tempête engloutit dans les flots, laissant Yvonnec lutter avec les vagues. Un caboteur qui passait le recueillit et le voilà, lui, le sauvage, transporté au milieu d’un monde joyeux et allègre de mousses aussi jeunes que lui. Il les regarda avec stupeur. Ces « petits morceaux de chrétiens, ces écureuils de navire, » espiègles comme des pages,