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six semaines dans un phare.

effroyable concert, les gardiens des navires crurent comprendre des menaces, des plaintes, des accents de désespoir ; une sinistre tragédie devait se passer, mais nul ne pouvait porter secours à l’infortuné, victime des chiens du guet. Enfin le silence de la tombe suivit ces bruits. On n’entendit plus que la voix des vagues pleurant au rivage et celle du vent dans la nuit sombre. Au lever de l’aube on retrouva sur la grève la dépouille glacée de ce jeune et bel officier, si fêté et si joyeux la veille.

C’est depuis cette époque qu’avaient disparu les chiens du guet ; mais leur histoire quasi légendaire est encore racontée bien souvent, les soirs d’hiver, par les grands-papas à leurs petits-enfants.

Yvonnec connaissait cette histoire. Plus d’une fois il avait pâli au récit qu’en faisait un vieux domestique sous le manteau de la cheminée. Quelle ne fut donc pas sa terreur quand, seul, la nuit, sur la grève de Saint-Malo, caché dans les ruines d’une maisonnette qui avait dû servir de niche aux chiens du guet, il revit devant ses yeux hallucinés le tableau effroyable de la lutte de ces gardiens du port contre les voleurs ou les imprudents attardés. Notez qu’il avait dix ans à peine et que c’était la première nuit qu’il passait à la belle étoile. Or, pour qui a passé une nuit seul en face de l’Océan, les terreurs de cet enfant abandonné doivent paraître épouvantables.

Un instant Yvonnec se crut fou, le moindre bruit du vent le faisait tressaillir, le plus petit aboiement d’un chien dans la campagne le couvrait d’une sueur glacée ; le sable criait sous les moindres efforts de ses pieds crispés par la peur, et les pierres de la maisonnette auxquelles il s’accrochait pour ne pas tomber, roulaient lugubrement autour de lui. L’enfant se secoua brusquement, et debout, les yeux instinctivement levés vers ce ciel où on ne lui avait jamais dit qu’il y eût un Dieu protecteur des enfants, il se roidit violemment contre cette frayeur instinctive