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yvonnec le breton.

il ne songea pas à retourner en arrière et, se fiant dans l’avenir, il courut vers la grève. Il allait à la mer comme pour lui demander une hospitalité qu’il n’aurait pas trouvée sur terre. La première nuit qu’il passa hors du logis paternel fut consacrée à une longue course sur les rochers qui bordent la côte malouine et, le matin, il alla frapper à la première cahute de pêcheurs qu’il rencontra sur sa route. On lui donna à manger, mais on se moqua de lui quand il demanda du travail. Il avait dix ans ! Toute la journée, ce furent la même offre et les mêmes refus. Il rôda comme un mendiant et finit par devenir suspect. Un pêcheur le ramena à Saint-Malo, à la nuit tombante ; mais il s’esquiva et courut se cacher dans les rochers de la grève.

Là se place une histoire terrible qu’Yvonnec devait raconter plus tard, mais dont voici la véritable place :

Vers la fin du siècle dernier, il y avait, comme fidèles gardiens du port de Saint-Malo, des chiens, molosses redoutables, qu’on appelait chiens du guet. D’une robuste constitution, la tête forte, le masque noir, la lèvre ridée, d’une agilité presque égale à celle des lévriers, hardis, tenaces, ils réunissaient toutes les conditions d’un bon service. Pris fort jeunes, rompus de bonne heure à une discipline sévère, ces dogues étaient tous d’une grande docilité sous l’œil et le fouet du maître. Incorruptibles, ils auraient tous péri plutôt que de toucher aux gâteaux et au sucre que de curieux touristes leur offraient. Chaque soir, à dix heures, ils étaient lâchés sur la grève, dont ils ne franchissaient jamais les limites. Une heure avant le jour, les chiennetiers les rappelaient au son de leur trompette de cuivre. Malheur à ceux qui, coquins ou honnêtes gens, se seraient attardés sur le terrain des chiens du guet, ils étaient sûrs de tomber sous la dent des gardiens du port de Saint-Malo.

Un soir d’été de l’année 1769, deux jeunes époux s’attardèrent dans un village aux environs de Saint-Servan. La nuit était