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six semaines dans un phare.

ration de biscuit des bienheureux, le lard du paradis et les fayots des archanges.

Chasse-Marée qui entrait appela Yvonnec à son service, celui-ci disparut.

— Juste au bon moment, s’écria Paul.

— Je vous le ramènerai ; mais voici l’heure du déjeuner et comme la mer est belle aujourd’hui, nous aurons des visiteurs.

Pendant le déjeuner, auquel nous pouvons ne pas assister, car ce matin-là, surtout, il fut très-monotone, suivons Yvonnec et, puisqu’il ne parle pas, parlons de lui.

Son premier malheur avait été de naître. Il était venu au monde dénoncé comme un vagabond, bien qu’il fût le dernier-né d’une famille très-estimée du Finistère.

Sans cesse grondé et battu par son père, il avait fini par se révolter contre les colères et la haine de ses frères et sœurs, contre l’indifférence de sa mère et l’abandon dans lequel on le laissait. De sauvage, il devint indiscipliné. De martyr, il devint bourreau. Loin d’affaiblir ses passions et de les contraindre, la sévérité des uns, les coups d’épingles des autres, le poussèrent d’abord à la désobéissance avec une joie d’esclave emporté par le courant d’une révolte. Les privations, les coups, les pénitences aigrirent son caractère, et le jour où il atteignit ses dix ans, déclaré incorrigible, on le chassa de la maison comme une bête féroce. Il ne savait ni lire ni écrire et ne connaissait pas même le nom de son père. Il se rappela qu’on ne l’appelait que — le loup — et se baptisa lui-même du nom d’Yvonnec qu’il avait conservé depuis. Sa famille ne l’avait jamais recherché et, lui, n’avait jamais songé à s’en faire réclamer.

Cette famille était de Saint-Malo. Chose étrange, rare, inexplicable, il n’avait pas un seul marin dans ses parents. — Raison de plus pour que je le sois, se dit-il. Quand il quitta la maison, meurtri de coups, les habits déchirés, sans un morceau de pain