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yvonnec le breton.

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— Yvonnec a raison. Laissez ! Il y a si longtemps que je n’ai parlé, et vous le savez, mon oncle, j’aime le surnaturel. C’est votre faute ça, bien souvent vous m’avez raconté des histoires…

— Ne parlons pas de ça, dit l’oncle en se levant.

— C’est la faute du Breton, grommela Clinfoc.

— Un jour que vous m’avez parlé de ces lutins en esprit fort que vous êtes, vous, j’ai voulu voir un lieu hanté par eux. Je ne vous le disais pas, mais, sans le vouloir, vous m’y avez amené. C’était non loin de Saint-Malo…

— Je t’en prie, Paul.

— Ah ! vous pâlissez, mon oncle.

— Des hauteurs du cap Fréhel, je descendis seul dans une de ces nombreuses petites anses que forme la dentelure des falaises à pic. Le décor était splendide, et bientôt, gagné par le grand spectacle de la mer agitée, j’oubliai tout ce qui n’était pas elle et dans un de ces rêves dont on n’a, Dieu merci ! à rendre compte à personne, je me représentai le monde impalpable qui doit peupler l’immensité et l’inconnu. Aucun sentier ne m’avait amené à la cachette formée par la mer où le sable blanc et chaud, pur de toute empreinte, m’invitait à rêver. Figurez-vous une forêt à perte de vue de rochers plantés dans la mer ; ces écueils innombrables et présentant les formes les plus inouïes n’étaient pas des fragments écroulés de la montagne, mais des blocs surmontés d’aiguilles formant le sommet d’autres montagnes submergées. L’eau brillante d’un bleu presque noir détachait en gris blafard cette armée de spectres livides imprégnés de sel. Le soleil, qui les blanchissait encore, jetait sur ces apparitions je ne sais quelle effrayante gaieté. Nul être humain ne pouvait sans danger parcourir ces écueils et nul être terrestre ne pouvait y vivre. Pas un brin d’herbe, pas un lichen, pas même un débris de plante marine sur ces îlots, et pourtant cela donnait le vertige. Mon esprit