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six semaines dans un phare.

— Yvonnec, je ne vous demande pas qui vous êtes, mais je suis sûr que votre vrai langage est celui que vous teniez tout à l’heure quand vous vous parliez à vous-même. Vous m’avez refusé de raconter votre vie. Je ne vous le redemande pas. Mais, parlez-moi un peu, sinon de vous, du moins de votre pays.

Le Breton se taisait. Appuyé contre le mur, les bras croisés et sa jambe droite repliée sur la jambe gauche, il jetait sur le jeune blessé un regard mouillé de larmes qui en disait plus long que tous les récits des marins. Clinfoc avait ôté les mains de ses poches, et, furieux qu’on ne répondît pas de suite à son maître, semblait tout prêt à s’élancer sur le Breton.

— Eh bien, continua Paul, si cela vous répugne, dites-nous quelques-unes des légendes de votre mystérieux pays, dont les côtes sont pleines d’esprits et de lutins.

— N’est-ce pas, monsieur Paul, que vous y croyez aux esprits et aux lutins ? s’écria Yvonnec en changeant de position, d’air et de langage.

— Pourquoi pas ? Il n’est pas besoin d’être né au moyen âge pour saisir par ses beaux cheveux flottants le lutin de la chaumière ou de la barque, de la plaine ou de la mer. Chez toutes les nations de l’Europe, dans toutes les provinces de la France, sur toutes les côtes de l’Océan ou de la Méditerranée on le rencontre ce lutin charmant et terrible qui peuple les veilles et les nuits des paysans, des pêcheurs et des marins. Il se plaît surtout chez ceux qui ne peuvent réagir que par l’imagination contre la rude misère de leur vie matérielle : Kobold en Suède, Korigan en Bretagne, Follet en Berry, Orco à Venise, il s’appelle le Drac en Provence. Il en est de même d’un autre esprit, plus fâcheux et plus sinistre, qu’en tous pays on appelle le Double. Oh ! celui-là !

— Paul ! mon ami, ne t’anime pas tant !

— Laissez, laissez, cria le Breton.