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yvonnec le breton.

tenant ils vont les chercher en pleine mer. Le mal est arrivé à un tel excès, que la France s’en est émue et a dénoncé en termes énergiques ces actes odieux au gouvernement anglais.

— Mon ami, reprit le capitaine, tu commets la même faute que Clinfoc, qui pour un crime isolé commis sur les côtes de Bretagne en accuse tous les Bretons. Il n’y a pas de pays dont les institutions de sauvetage aient rendu plus de services aux naufragés que l’Angleterre. Ses établissements sur tous les points de son littoral en sont la preuve. Ses sauveteurs sont dévoués et désintéressés. Je ne doute pas que le peuple anglais ne fasse un jour justice des odieuses spéculations des naufrageurs et de ces instincts de piraterie, derniers vestiges d’un autre âge.

— Oh ! je vous crois, mon oncle. Je regrette que mon vieux Clinfoc n’ait pas compris que les Bretons ne peuvent pas être responsables du crime de quelques-uns. Je regrette surtout qu’il n’ait pas pu admirer, comme moi, les côtes dentelées de la vieille Armorique, dont la vue remplit mon âme de poésie.

— Merci, monsieur Paul, dit humblement le Breton. Du reste, ajouta-t-il un peu plus bas, qui dit marin, dit poëte. La mer, comme la poésie, est pleine de mystères. Elle nous rapproche de Dieu par la contemplation et le rêve ; le marin qui ne prie pas n’est pas digne d’être marin.

Chacun se regarda, étonné de ce langage peu en harmonie avec le ton habituel du Breton. Celui-ci, comme étonné lui-même, reprit plus haut, en s’adressant à Clinfoc :

— C’est raisonné comme un oracle, pas vrai, vieux ?

— Toi, tu cours des bordées en louvoyant pour marcher contre le point d’où souffle le vent. On ne sait pas plus ce que renferme un Breton que ce que contient la goëlette d’un négrier.

— Bon ! Quand il a dit ça, ce qui arrive souvent, il croit avoir cargué et serré une misaine !

Paul s’adressa au Breton :