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six semaines dans un phare.

femme. Il paraît même, quand les sables sont soulevés par l’ouragan, qu’on aperçoit au fond de la baie de larges troncs d’une couleur noire. Alors des gémissements répondent aux rafales : ce sont les cris des habitants qui ont bu à la grande tasse et n’ont pu encore digérer le bouillon.

Quel drôle de pays ! Mais minute ! Ce n’est pas encore de ça qu’il s’agit.

Donc, à peine avions-nous dépassé Plogoff, que le ciel devient tout rouge ; la mer commence à se fâcher tout à fait et notre bateau danse un quadrille sur le sommet des vagues. Pas de mal encore ; on envoie un gabier en vigie avec l’ordre de prévenir dès qu’il aurait connaissance des côtes. La nuit était venue, et le vent soufflait de tous côtés. Notre bateau tournait comme une toupie et, d’un commun accord, on décida de se laisser aller au vent qui, venant des côtes, nous en éloignerait. Au bout d’un moment, le gabier en vigie cria : « Fanal de navire au large ! » … On se précipita sur le pont et, en effet, au large on aperçut une lumière balancée par les vagues. Voilà que ça commence. Breton, tiens-toi bien.

— Je n’ai pas peur !

— Attirés par l’espoir et nous croyant plus éloignés des côtes, nous nous laissâmes porter sur le fanal, et notre navire alla échouer sur les récifs qui brisèrent le bateau et nous jetèrent sur une grève sauvage, où nous trouvâmes une hospitalité charitable.

— Ah ! ah !

— Oui, Breton, l’hospitalité des pilleurs de mer, autrement dits les naufrageurs, qui nous avaient joué ce joli tour. Ces gredins-là savent que les naufrages sont communs sur leurs côtes : c’est ce qui entretient chez eux un amour du pillage que rien n’a pu détruire. Tous les objets que la tempête et la mer apportent sur leurs côtes sont à eux. Voleurs !