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six semaines dans un phare.

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bouche pour faire sa partie dans le concert oratoire joué autour du lit du blessé. Il est vrai que toutes les fois qu’il ouvrait la bouche, le rire sardonique de Rabamor ou les joyeuses exclamations du père La Gloire la fermaient plus vite qu’elle ne s’était ouverte. D’un autre côté, sa figure un peu sombre, sa voix sourde, son regard atone inspiraient peu de sympathie pour l’homme et peu de confiance dans l’orateur.

Mais ce jour-là, aux premiers rayons de l’aube que tamisaient les carreaux ruisselants de buée, le Breton s’était comme transfiguré. L’œil s’éclairait de joyeux reflets, la bouche dessinait un sourire presque spirituel, et sa voix sembla briser les cloisons qui l’emprisonnaient dans le fond de la gorge pour laisser tomber ces phrases assaisonnées de sel marin :

— Eh bien ! monsieur Paul, comme ça, vous v’là rahuché ? on n’a plus qu’à enverguer ses frusques de fête, quoi ? Vierge Marie, vous en teniez, mais là d’aplomb. Je connais ces sortes de grains. On n’a pas le temps de dire un pater, que crac !… enlevé le cacatois. Une balle, ça vous saute à bord quand on ne s’y attend pas et ça vous tombe par le travers avant d’avoir pu pousser la barre tribord ou bâbord pour la parer, mais à présent, hisse le grand foc !… Attrape à mettre à l’eau le youyou !…

Et ce disant, le Breton serra la main de Paul étonné de ce flux de paroles et de ce geste d’amitié, si peu familiers avec les habitudes du marin.

Paul allait répondre, quand le capitaine parut sur le seuil :

— Il parle donc, celui-là, s’écria-t-il.

— Oui, mon oncle, mieux vaut tard que jamais.

— Bonjour, petit, comment va, ce matin ?

Et l’oncle embrassa Paul sans plus s’occuper du Breton qui, reprenant ses allures timides et hargneuses, gagnait discrètement la porte. Là il reçut une bourrade de Clinfoc qui entrait.