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six semaines dans un phare.

— Aussi, au lieu de mettre des boulets, moi, — pardon, capitaine, c’est là le seulement dont je vous parlais… — Je n’en mettrais pas et ça ferait autant de fumée, allez, et comme vous le disiez, cette fumée rendrait la corvette invisible aux pirates. Pendant ce temps-là, comme vous le disiez toujours, vos matelots largueront les voiles sans danger et nous pourrons fiche notre camp ! Ah ! capitaine, puisque vous demandez l’avis d’un simple matelot comme moi, mettez votre idée à exécution.

Une heure plus tard, grâce à ce conseil, aussi délicat qu’habile, la corvette jetait des tourbillons de fumée, les gabiers larguaient les voiles et nous appareillions sans être inquiétés. Quelques jours après, nous débarquions à Trinquemaly.

— Et le capitaine n’a rien donné au Bordelais ?

— Il lui a fait cadeau d’une poignée de main et d’une montre en or.

— Oh ! une poignée de main !

— Les officiers anglais en sont avares pour tous ceux qui ne sont pas de leur grade. Si le Bordelais avait été Anglais, il n’aurait eu que la montre.

Mais l’heure s’avance et je craindrais, monsieur Paul, de vous fatiguer. Si je ne vous ai pas trop ennuyé, je recommencerai un autre soir.

— Hé là-bas, chacun son tour, dit le père La Gloire.

— C’est juste. Enfin, monsieur Paul, voilà pourquoi et depuis quand je ne bois plus. Je suis devenu, j’ose le dire, un bon marin de l’État. Et aujourd’hui, de tous mes souvenirs, c’est celui du Rouget, qui seul, a le don, en me rappelant mes fautes, de faire de moi ici ce que j’ai été à bord.

Les larmes suffoquaient le narrateur. Il n’y put tenir et se retira. Paul se promit de le faire parler encore, pendant que les autres marins discutaient à qui parlerait le lendemain.