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six semaines dans un phare.

trois embarcations armées de soldats de marine et munies des objets nécessaires pour une descente, furent envoyées vers une crique éloignée où l’on apercevait plusieurs praws, en partie cachés sous des arbres. J’aurais bien voulu en faire partie, mais j’étais « condamné », et le capitaine anglais répondit sèchement à mes camarades :

— Je n’emploie jamais d’étrangers au service de Sa Majesté britannique.

— Tant pis pour Sa Majesté britannique ! riposta le Bordelais. Mais le jour et la nuit se passèrent sans qu’on vît revenir les embarcations. Les praws n’avaient pas bougé de leurs abris. De l’expédition, nulle trace.

Le lendemain, il fut résolu qu’on enverrait un canot avec l’ordre de ne pas aborder.

Le canot disparut comme les autres. Seulement nous entendîmes cette fois une vive fusillade, qui s’éteignit presque aussitôt. Les praws étaient toujours immobiles sous leurs abris.

Soixante hommes étaient perdus sans profit pour l’Angleterre. Le capitaine était désolé et nous partagions sa douleur. Trois jours après, il ordonna l’appareillage. On vire au cabestan et plusieurs gabiers montent dans la mâture pour défiler les voiles, quand tout à coup une grêle de balles, partant de derrière les rochers qui flanquaient notre droite, tue et blesse plusieurs hommes. Deux de ces derniers tombent à la mer. On veut leur jeter des cordes, impossible. Tous ceux qui se montrent au-dessus des bastingages deviennent des points de mire pour les pirates embusqués.

Ce fut alors un cri d’épouvante à bord. Ne pouvant déferler les voiles, il fallait attendre que le vent nous poussât directement du mouillage au large, c’était le seul moyen pour abandonner la baie à sec de voiles. La lune, pour surcroît de malheur, était dans son plein, et la nuit ne nous offrait pas les ressources de l’obscurité !