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six semaines dans un phare.

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sai de grosses pierres et de ma branche je fis une croix. Le Rouget avait une tombe chrétienne !…

Il était nuit. J’étais brisé de fatigue. Je m’endormis à côté ; c’est là que mes camarades me trouvèrent le lendemain. J’avais froid, mes blessures me faisaient horriblement souffrir, et c’est à peine si je pouvais marcher, mais je me disais en moi-même que je n’en avais pas pour longtemps à vivre. Je méritais la mort pour ma trahison et j’espérais bien qu’on me ferait justice.

Pourtant, quand je demandai l’heure de mon jugement, le Bordelais haussa les épaules, et le capitaine me tendit la main.

— Je ne suis pas digne de la prendre, répondis-je, mais l’émotion que me causa cette bonté du capitaine jointe à mes blessures et à mes fatigues me causa un éblouissement tel que je m’évanouis. Quand je revins à moi, le Bordelais voulut m’humecter les lèvres avec du rhum. Je crus qu’il me donnait du vitriol à boire. Je le repoussai avec énergie :

— Je jure, dis-je tout pâle et en tournant les yeux vers la tombe de Rouget, de ne jamais boire ni eau-de-vie ni vin.

C’était assez s’occuper de moi. Il fallait songer au salut de tous, nous étions bel et bien tombés dans un nid de pirates. L’idée que nous courions un grand danger et qu’il allait falloir peut-être en découdre avec les Indiens ranima mes forces, et je me mis à la disposition du Bordelais qui depuis le combat m’affectionnait beaucoup, sachant quel parti il pourrait tirer de ma force et de mon courage. Du reste, je vous le dis encore une fois, je n’attendais que la mort et je préférais mourir en combattant que fusillé comme un chien.

D’abord nous transportâmes au sommet d’un rocher élevé qui s’avançait en pointe dans la mer non-seulement nos provisions et nos armes, mais même encore nos deux canots. Puis nous creusâmes un fossé assez profond dans le sable auquel, avec des éclats de roches, on fit une espèce de parapet. Enfin on fit la dis-