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rabamor.

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nous abandonnâmes le Pinson. Mal enclavé où il avait touché, la marée en baissant le laissa glisser de telle façon que la mer recouvrit bientôt son pont.

À cette vue, je bondis et me précipitai à la nage. Le Bordelais m’arrêta. Le capitaine en s’avançant me dit d’une voix sévère :

— Tu n’as ni à fuir ni à te suicider. Tu es notre prisonnier. Attends que notre tribunal ait prononcé sur ton sort.

— Capitaine, répondis-je avec respect, vous oubliez que dans le navire est le Génois, celui qui m’a perdu et a failli tous nous perdre. Le laisserez-vous mourir sans jugement ?

— Soit, va le chercher, mais hâte-toi.

Ce n’était pas le Génois que j’allais chercher. La mer devait en avoir fait justice, mais le corps de mon pauvre Rouget, allais-je donc le laisser manger aux poissons, quand je pouvais lui donner une sépulture chrétienne ?

J’arrivai sur le haut du pont que la mer n’avait pas encore envahi. Je vis dans le coin où je l’avais placé le Rouget qui dormait son dernier sommeil. Je le chargeai sur mon épaule. Oh ! il ne pesait pas lourd, tout son sang était sorti par sa blessure ! et je descendis dans le canot que le capitaine avait envoyé pour me reprendre.

Je débarquai avec le Rouget qui n’avait pas quitté mes épaules. Chacun connaissant notre amitié se taisait devant ma douleur et, comprenant le motif qui dictait ma conduite, personne ne s’opposa à mon débarquement. Une fois à terre, je pris un sentier qui conduisait à une masse de rochers et je déposai mon précieux fardeau sur le bord d’un petit ravin. Nous n’avions pas d’outils, mais je brisai une grosse branche que j’affilai avec mon eustache et je me mis à creuser avec rage un trou assez profond pour qu’il fût à l’abri des oiseaux de proie, et quand il fut creusé, j’y plaçai le Rouget. Une prière, un dernier serrement de main et quelques pelletées de terre… Ce fut tout. Par-dessus j’entas-