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rabamor.

prévoir l’issue. Aussi nous nous jetâmes sur les Indiens, moi surtout, avec une rage qui tenait du délire. À chaque ennemi que j’abattai, je m’écriai :

— Encore un, Rouget !

Il arriva un moment où le manche de ma hache se brisa, et ce fut à coups de poings que je continuai ce combat inégal. Tous ceux que je saisissais je les étranglais ou les jetais par-dessus bord.

— Passage, cria tout à coup le Bordelais qui portait une marmite. Trois matelots qui le suivaient en avaient une aussi, et chacun en versa le contenu sur la tête des pirates. Ah ! si vous les aviez vus se rouler sous cette douche d’un nouveau genre ! C’était de l’eau bouillante qu’on venait de leur administrer. Nous profitâmes du moment où ceux qui en étaient atteints se roulaient dans d’affreuses contorsions pour abattre une dizaine d’assaillants.

Par malheur, on ne s’occupait pas assez du navire, tous les matelots étant en train de repousser les Indiens. Le capitaine s’en aperçut, et me voyant sans armes, me cria d’aller à la barre du gouvernail, abandonnée à elle-même. Je dus obéir, à regret je l’avoue, mais si je n’avais pas assez vengé le Rouget, il me restait du moins à venger mon honneur.

J’y étais à peine, furieux de voir les pirates monter comme des tigres le long de notre brick, quand une espèce de sifflement passa sur ma tête, et j’entendis un grand cri et la chute lourde d’un poids énorme. Notre ingénieux Bordelais avait largué le cartahut qui retenait le paquet de boulets, hissé au bout de la vergue de misaine. Le résultat obtenu par cette chute fut prodigieux, sans parler des Indiens tués ou blessés, les boulets avaient défoncé le praw.

Pendant le temps que les Indiens mirent à revenir de leur stupéfaction, je jetai un coup d’œil au vaisseau qui lofait encore