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rabamor.

Cette fois j’étais désabusé et seul, sans armes, je m’élançai sur ces misérables, quand le Génois me saisit par une jambe, me fit tomber, et se relevant m’ajusta avec un pistolet tout armé qu’il tenait caché dans sa ceinture. Le Rouget arriva à temps — pour recevoir la balle en pleine poitrine. Il tomba en me disant :

— Il s’est trompé d’adresse. Méfie-toi des autres !

Tout occupé de mon pauvre Rouget qui expirait dans mes bras, je ne fis pas attention au Génois qu’on avait saisi et étroitement garotté. Les Provençaux étaient aux fers. Quant au Malais et au Maltais, ils avaient disparu.

Les cris des pirates me rappelèrent à la réalité. Je mis le corps du Rouget à l’abri, et me saisissant d’une hache d’abordage, je m’élançai, résolu de trouver la mort en expiation de mes fautes. La mort ne voulut pas de moi.

Les balles et les flèches des Indiens commençaient à pleuvoir sur le pont, car nous n’étions qu’à quelques encablures de l’ennemi. Le capitaine essaie de doubler la pointe de la grande île pour nous écarter de la côte. Il commande la manœuvre, mais le navire vient au vent malgré sa barre. Les voiles sont en ralingue. Je cours au gaillard d’avant, et je vois collé au flanc du navire le Malais qui coupait les drisses et les écoutes des focs. D’un coup de hache je l’envoie dire bonjour aux requins, mais il était trop tard, les Indiens montaient à l’abordage. Ils étaient quatre-vingts environ et nous quinze à peine. La ruse vint en aide au courage.

Il y avait à bord pour maître timonier un Bordelais que nous avions appelé le père Sang-Froid, C’était lui, qui, le premier, s’était aperçu de notre trahison, et dès les premières attaques des pirates il avait cherché à y porter remède.

Comme nous ne pouvions plus nous servir de nos canons, voici ce qu’il avait imaginé !

D’abord, il avait mis les poudres et les fusils à l’abri, puis