Page:Garnier - Six semaines dans un phare, 1862.djvu/251

Cette page a été validée par deux contributeurs.
241
rabamor.

 Les corrections sont expliquées en page de discussion

veurs, mais nous ne pouvions abandonner nos blessés. Bientôt un feu meurtrier dispersa les sauvages, nos camarades nous rejoignirent et, aidant les blessés à marcher, nous gagnâmes en bon ordre le rivage, épuisés, affamés et mourant de soif.

Mais au moment où nous nous embarquions, les natifs revinrent pour renouveler l’attaque. Ils étaient deux fois plus nombreux, et leur nombre grossissait toujours.

— Par ici ! me cria une voix, celle du Rouget, et je vis mon bon et cher camarade debout sur un bateau à la poupe duquel était une caronade. J’allais y monter quand un cavalier, le même que je n’avais pu atteindre, fondit sur moi et me blessa avec sa lance. Le Rouget mit le feu à la caronade, et le long du rivage, un cri perçant de terreur vint assurer notre victoire. À ce cri en répondit un autre, celui du Rouget qui me voyait tomber évanoui sur le banc des rameurs !

Ma blessure guérit, notre voyage s’acheva sans accidents. Mais ce que je n’ai pas osé vous dire encore, c’est que je buvais toujours et beaucoup. Cette fatale passion devait me coûter cher et, comme en définitive, je suis là pour ne rien cacher de ce qui peut vous intéresser, bien que j’en rougisse et j’en souffre encore aujourd’hui, je vais vous faire ma confession tout entière.

Le voyage que je vais vous raconter est celui pendant lequel je me brouillai définitivement avec l’eau-de-vie. Le Rouget et moi nous étions à Maurice, où nous avions mangé et bu jusqu’au dernier sou de nos économies, quand un Génois vint nous proposer un voyage de caravane, d’où nous reviendrions avec une forte somme, si nous voulions suivre ses conseils et faire tout ce qu’il nous dirait à bord. Nous acceptâmes avec plaisir et sans réflexion, moi surtout, qui n’étais pas corrigé et que l’appât du gain attirait. Et pourtant si j’avais réfléchi !… Je savais bien qu’un voyage de caravane consistait à transporter des cargaisons de port en port, et que comme nous n’étions à bord que de sim-