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six semaines dans un phare.

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arrivâmes au lieu du rendez-vous où nous attendaient le chef et cinq hommes armés de lances. Puis, après les saluts d’usage, nous prîmes la route de la forêt, au milieu de laquelle nous fîmes halte vers le milieu du jour, dans une hutte où des Malais prévenants nous avaient préparé des pipes et du café.

Je vous ai dit que le Rouget, poltron devant un tigre ou un chat, devant un serpent ou une araignée, devant un crocodile ou un crapaud, n’aimait pas les armes à feu. Pour ne pas me quitter dans cette chasse dont il augurait fort mal, il prit une carabine, se contentant du rôle officiel d’éclaireur. Donc, au moment où, assis dans la hutte, nous allions prendre le café, je vis avec étonnement le Rouget me faire signe de ne pas boire et de sortir. Nous étions seuls, le Malais avait fui dans les jungles. Seulement sur le seuil un des nôtres se roulait dans d’affreuses coliques.

— Le seul qui ait bu du café ! me dit sentencieusement le Rouget. Je l’ai arrêté à temps, sans cela il était perdu.

Chaque homme fut averti tout bas du péril qui nous menaçait, on vérifia si les armes étaient chargées et, dès que le malade put se lever, nous reprîmes le chemin par lequel nous étions venus. Mais le pauvre diable se trouva mal, il fallut le transporter et prendre une voie plus praticable, ce qui nous fit égarer en nous éloignant du rivage. Heureusement que nous rencontrâmes une rivière, et comme l’eau va toujours à la mer, nous en suivîmes le cours. Le Rouget était en avant qui la sondait avec sa lance. Tout à coup, il s’arrêta en nous montrant du doigt les taillis qui bordaient la rivière. Les sauvages qui y étaient embusqués en sortirent avec de grands cris, mais nos hommes avaient eu le temps de les recevoir avec un feu bien nourri dont ils n’attendirent pas une seconde décharge. Cette fuite nous donna le temps d’arriver jusqu’à un banc de sable, du haut duquel nous aperçûmes la mer et le haut des mâts de notre corvette. Nous nous croyions sauvés, quand sur la large