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six semaines dans un phare.

Le Rouget n’était pas content et puis, faut-il le dire, il avait peur. Aussi se hâta-t-il de rejoindre un des éléphants déserteurs ou un cheval quelconque. Mais les chevaux avaient brisé leurs longes. Heureusement qu’il rencontra un éléphant que son guide avait pu retenir. Ces guides sont d’étranges compagnons. Ils aiment leur éléphant plus qu’eux-mêmes. L’éléphant du reste le leur rend bien.

Le guide fit monter le Rouget sur le cou de l’éléphant. À ce moment les broussailles s’écartèrent, et un tigre bondit suivi d’un autre. Que se passa-t-il, je l’ignore. Le Rouget avait fermé les yeux. Quand nous arrivâmes guidés par un bruit affreux de cris et de rugissements, nous vîmes l’un des tigres suspendu par les pattes aux flancs de l’éléphant et l’autre déchirant à belles dents quelque chose de blanc que je ne pus distinguer. En même temps que moi, arrivait au grand galop de son cheval le chef malais qui guidait la chasse.

L’éléphant cruellement déchiré par les griffes de son ennemi fit un mouvement si brusque que le tigre perdit l’équilibre et roula sous les pieds du cheval du Malais qui se renversa sur son maître. Le tigre, en se relevant, brisa les reins du malheureux cheval d’un seul coup de dent et se tourna vers moi qui le reçus sur le bout de mon fusil dont je lâchai les deux détentes. Il roula comme foudroyé, mais se releva presque aussitôt. Le Malais qui était dégagé de dessous son cheval mort, lui envoya une balle dans la hanche, mais n’eut pas le temps de recharger son arme, le deuxième tigre s’était élancé sur lui et déjà sa langue lui léchait la figure, quand le Rouget, réveillé de sa peur, sauta sur le monstre qu’il attaqua à coups de sabre et qui tomba bientôt frappé de vingt coups de poignard.

Je ne m’occupais plus du premier tigre que je croyais mort, et du reste toute la chasse s’était rapprochée. Plusieurs indigènes entouraient son cadavre, quand soudain nous le vîmes se tor-