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rabamor.

d’herbe. Un second feu bien nourri foudroya le tigre qui avait été à peine effleuré la première fois.

— Il y a une tigresse et ses petits, sous cette voute là-bas, nous dit le Malais qui restait prudemment à l’écart.

D’un pas ferme, guidés par l’abominable odeur qu’exhalent ces bêtes fauves, nous gagnâmes le lieu de leur retraite.

— Ne tirez que sur la tigresse et tirez bas, nous cria-t-on.

La tigresse apparut sous un épais buisson d’où elle appela ses petits en grognant. Trois petits tigres sortirent de l’antre et coururent se cacher avec effroi près de leur mère. Un coup de feu tiré dans le buisson et qui blessa un de ses petits fit apparaître la mère, les yeux en feu et écumante de rage. Elle se précipita sur nous. Je fis feu des deux canons de mon fusil. La tigresse frissonna et toute chancelante ploya sur ses jambes. Un coup de lance l’acheva.

Restaient les trois petits. Deux se sauvèrent sans qu’une seule balle les atteignît, mais le troisième s’élança sur moi au moment où je rechargeais mon arme, et sans le Rouget qui lui fit sauter la cervelle, je ne sais pas comment je m’en serais tiré ; ses griffes m’avaient déchiré la poitrine, et en tombant je m’étais blessé à la tête.

De l’autre côté où étaient les indigènes, se passait un drame autrement terrible. Le jungle était vivant de tigres. On en avait tué deux, mais cette double mort avait coûté la vie à trois indigènes. Un Malais qui avait eu l’épine dorsale fracassée expirait après une heure d’agonie.

Ce fut bien pis quand nous approchâmes de la lisière des jungles. Le Rouget, qui n’avait jamais pu se servir d’un fusil, — il craignait ça comme le feu, disait-il, — n’avait qu’une pique et un sabre d’abordage. Le premier tigre qui nous attaqua passa sur lui d’un bond, le roula comme un chat ferait d’une pelote et disparut pour tomber sous nos coups.