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rabamor.

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distinct et derrière moi, dans les branches d’un arbre énorme, apparut un orang-outang couvert de poil gris. Ses bras étaient très-longs, sa carrure, celle d’un de ces hercules de foire que j’aimais tant autrefois à tomber, et sa figure affreuse, toute ridée avec des yeux brillants comme ceux d’un démon. La vue d’un tigre nous eût moins effrayés. Ces orangs-outangs, qu’on appelle dans le pays des Jungles Admées sont aussi forts que méchants et plus rusés, plus cruels, plus féroces que les tigres et les lions. Fuir n’était pas possible. Il fallait combattre ou ne pas bouger en attendant qu’il disparût.

Nous prîmes ce dernier parti. L’Admée, après avoir mangé des moules et des coquillages, reprit le chemin des jungles sans nous avoir aperçus.

— Bonne affaire, me dit le Rouget, j’ai vu par où il a passé. Nous n’aurons pas besoin de la hache pour nous frayer un chemin.

— C’est ça, suivons-le ; car je suis un peu plus rassuré.

Je vous avouerai que j’étais honteux d’avoir laissé partir l’animal sans lui envoyer une balle.

Nous nous glissâmes sous un massif de hantak et nous découvrîmes un sentier tortueux que l’Admée suivait à pas lents. Il n’aurait pas manqué de nous entendre, car ils ont l’oreille fine, mais il changea son itinéraire, traversa le lit d’un ruisseau, grimpa sur un rocher et de là sur un vieux pin couvert de mousse. Il s’attacha par un bras à une branche horizontale, et, semblable à un matelot qui traverse les étais d’un mât, il gagna le sommet du rocher. Puis, soutenant son corps avec ses mains, il se laissa doucement tomber de l’autre côté et continua sa marche. Nous le suivions toujours. Le vent qui soufflait dans les jungles emportait le bruit de nos pas. L’Admée franchit plusieurs rochers dans les crevasses desquels poussaient les pins dont nous avions besoin. En passant, il brisa comme une allu-