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six semaines dans un phare.

— Vous avez entendu, monsieur, dit-il.

— Oui, mon ami, reste là, j’entrerai, moi.

Et tremblant, se tenant aux murs pour ne pas tomber, fermant les yeux pour ne pas voir son père et sa mère dont les ombres pâles et menaçantes surgissaient devant lui, il entra, passa devant la bonne stupéfaite et monta au premier étage. Une porte était entr’ouverte, c’était celle de la chambre où sa mère l’avait reçu la dernière fois. Il poussa la porte et resta muet de terreur, en voyant, assise dans une chaise longue, en face d’une petite table sur laquelle était un portrait entouré de fleurs, une jeune femme vêtue de deuil tenant sur ses genoux un enfant de cinq ans qui, les mains jointes, semblait implorer la figure du portrait.

Le bruit de la porte grinçant sur ses gonds fit lever les yeux à madame de Valgenceuse. L’enfant tourna la tête.

À trente ans de distance, le père Vent-Debout croyait retrouver son frère assis sur les genoux de sa mère. Ce qui rendait l’illusion complète, c’est que l’enfant — à cette époque il avait à peine cinq ans — était la vivante image de son père à l’âge où Vent-Debout se rappelait l’avoir vu. Même pâleur, mêmes cheveux blonds bouclés, même regard doux et voilé. La ressemblance était frappante.

Quand il recouvra l’usage de la parole, le père Vent-Debout murmura :

— Paul ! Paul ! est-ce toi ?

L’enfant se leva et avec cette crânerie des enfants de cet âge alla se poster devant le capitaine.

— Tu me connais donc toi ? dit-il.

— Paul, viens ici, mon enfant, fit la mère confuse.

— Il s’appelle Paul ! cria le vieux matelot. Et, tombant à genoux, il enveloppa de ses deux bras l’enfant étonné.

La mère se pencha en souriant.