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six semaines dans un phare.

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Avant de le connaître, j’en avais beaucoup entendu parler, et sa réputation me gênait. Quand le hasard nous fit trouver sur le même bord, je lui cherchai dispute naturellement. Il me cassa deux dents d’un coup de tête, se glissa dans mes jambes et me jeta par terre, puis me tendit la main pour me relever. Je le regardai dans le blanc des yeux. Il sourit. Depuis ce fut mon ami.

Plusieurs aventures malheureuses auraient dû me forcer à changer de caractère, mais plus il m’en arrivait, d’accidents, moins je me corrigeais. Dame ! tant plus on tape sur un clou et tant plus il s’enfonce ! D’ailleurs il n’y avait pas toujours de ma faute. Un exemple :

Le Rouget et moi nous eûmes une fois la permission de quarante-huit heures. On louvoyait dans le détroit de la Sonde et le bâtiment ayant besoin d’être ravitaillé d’eau, nous avions été détachés avec un lieutenant et quelques matelots près de Poulo-Pinang, une ville que l’Angleterre a achetée aux Malais ainsi que l’île où elle se trouve et qui porte aujourd’hui le nom du prince de Galles. Cette île n’est pas très-grande, mais elle est entourée d’un canal qui offre aux vaisseaux un magnifique port.

Notre premier officier et ses matelots avaient donc monté le grand canot et étaient partis pour s’acquitter de leur mission. J’en étais avec le Rouget, mais nous nous moquions bien de la mission. Pour nous, il s’agissait d’aller en ville. Nous dirigeâmes notre course le long de la côte malaise.

Vers le soir on arriva à Prya, ville protégée par un fort, et, après avoir demandé notre chemin aux pêcheurs malais qui suivaient notre sillage dans leurs barques, nous allâmes avec eux jusqu’à la rivière de Pinang, où nous avalâmes des huîtres qui sont aux huîtres de Marennes ce qu’une goëlette est à une frégate. C’est bon, mais ça ne vaut pas celles de notre côte. Après ça, c’est peut-être une idée. Question de patriotisme.