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six semaines dans un phare.

bêtes fauves autour des naufragés. Impossible de les sauver ! Notre dévouement, nos efforts ne peuvent triompher des brisants de la côte.

Plus de quatre cents marins ont trouvé la mort dans cette effroyable tourmente. Nos alliés y sont pour une large part. En général nous n’aurions éprouvé que des avaries réparables si nous n’avions pas perdu le Henri IV et le Pluton.

Oui, le Henri IV, ce vaisseau, l’orgueil de notre flotte qui, le 17 octobre, avait si bien résisté aux boulets de Sébastopol, devait venir s’échouer sur la côte ennemie pour ne plus se relever.

Toutes les précautions pourtant avaient été prises. Les quatre ancres malgré les stoppeurs et les coins avaient filé chaînon par chaînon, brisées par la violence de la mer en ébranlant par de profondes secousses le navire jusque dans ses entrailles. Son commandant, le capitaine Jehenne, voyant s’évanouir toute chance de salut, dirigea froidement son vaisseau vers la partie du rivage qui lui donnait l’espoir de sauver son équipage. La nuit était obscure, la tempête dans toute son intensité. D’énormes brisants prirent le Henri IV par sa hanche de bâbord et le jetèrent à la côte où il creusa solidement sa souille dans le sable. Dès qu’il fut échoué et après les premières dispositions prises pour parer aux dangers de la nuit, les clairons appelèrent tout le monde sur le pont pour la prière. Et alors au milieu de cette nuit obscure, de cet ouragan terrible et des flocons de neige qui tourbillonnaient dans l’air, on aurait pu voir tous ces hommes, à genoux, tête nue, répétant à haute voix les prières que l’aumônier adresse à Dieu, non pour le salut du vaisseau qu’on n’espère plus, mais pour celui de tout l’équipage si dévoué à son chef.

Dieu entendit cette prière. Les flots respectèrent le navire dont les canons purent faire feu sur les cosaques qui accouraient au grand galop pour s’emparer des hommes descendus à terre.

— Tant qu’il restera un morceau de mon vaisseau pour me