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cartahut.

s’éloigne d’un bond convulsif, manœuvre qui sauve les deux vaisseaux d’une catastrophe inévitable.

La tempête augmente. Les navires enlevés dans l’espace par les lames furibondes disparaissent en plongeant jusqu’à leurs beauprés dans les vagues, toujours prêtes à les engloutir. Inutile de vous dire quels prodiges d’habileté et quels efforts surhumains il fallut faire pour que nos deux cents vaisseaux ne fussent pas écrasés les uns contre les autres dans un choc immense.

Vers quatre heures, le vent tourne à l’est et devient moins furieux, mais, au moment où la nuit vient, la tourmente reprend tout à coup une nouvelle force. La lutte va recommencer plus terrible contre nos navires déjà si éprouvés. Ce fut un cruel moment, quand nous vîmes revenir la tempête entourée des ténèbres de la nuit.

À six heures environ, le gouvernail du vaisseau amiral est brisé. Les navires entassés se choquent les uns contre les autres. Leurs vergues et leurs cordages se brisent avec fracas. À terre, les tentes et les abris où sont barraqués nos blessés s’affaissent ou tourbillonnent dans l’espace. L’air est rempli d’objets de toute sorte que le vent emporte, mais au milieu de ce bouleversement général, les marins détachés à terre ne songent qu’à leur vaisseau, cette seconde patrie, qui peut-être est perdu, brisé sur les récifs ou englouti dans les vagues. Aussi, dès le point du jour, sont-ils tous sur les points les plus élevés de la plage, d’où ils aperçoivent le mouillage de la flotte, cherchant à deviner les secrets de cette nuit lugubre.

La mer est jonchée de mâtures brisées. On se compte. Trois de nos plus grands vaisseaux, la Ville-de-Paris, le Friedland, le Bayard n’ont plus ni mâts ni gouvernail. Treize navires de commerce sont échoués à la côte. Quelques hommes d’équipage, assez heureux pour avoir échappé à la mort, se sont réfugiés sur les débris de leurs bâtiments et les cosaques rôdent comme des