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cartahut.

boulets rouges avaient mis le feu à son bord, sa dunette était ravagée. Quarante-sept hommes étaient hors de combat. Mais tous, nous avons largement payé notre dette de dangers affrontés et de sang répandu. Nos alliés surtout avaient eu des pertes sérieuses. Ils nous donnèrent en cette grande journée plus d’une preuve de leur audace et de leur sang-froid.

À terre, nos marins avaient dignement représenté la marine. La batterie établie si rapidement à la baie de Streletska, écrasée par un feu terrible, avait subi des pertes cruelles. Cette journée fut décisive pour nous : elle nous montra la solidité des défenses, la puissance de l’artillerie ennemie et nous prouva que la marine devait être dorénavant reléguée au second rang. Heureusement qu’à terre elle prit sa revanche plus tard.

Le lendemain, à bord des bâtiments, une messe fut célébrée pour les victimes du combat. Après la messe eut lieu l’inhumation, les corps furent transportés à terre, sur ce plateau de Chersonèse qui allait devenir le champ de repos de tant de camarades, qui ne devaient plus revoir le sol de la patrie !

Une chose nous étonnait, c’est que Balaclava, si souvent menacé, n’eût pas encore été attaqué par les Russes. Aussi, chaque jour, s’attendait-on à une attaque, et les précautions étaient prises. La flotte elle-même avait ses instructions et elle attendait une nouvelle bataille de l’Alma. Ce fut Inkermann, qui survint.

Le 5 novembre un épais brouillard couvrait la terre. Au point du jour, notre attention est éveillée par une canonnade très-vive qui éclate sur les hauteurs occupées par les Anglais. Au milieu de la brume, il nous est impossible même du haut des mâtures de rien distinguer, mais bientôt l’étendue et la vivacité du feu, la longue durée et l’acharnement de la fusillade ne nous permettent plus de douter qu’à quelques pas de nous, se livre une grande bataille. Par moments, le brouillard se dissipe et nous laisse entrevoir les plateaux couverts de fumée où la bataille