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six semaines dans un phare.

boulets. Les morts, les blessés, les vivants sont renversés pêle-mêle au milieu des débris. L’amiral et trois officiers seuls n’ont pas été atteints, et les officiers blessés restent, sans vouloir descendre au poste de pansement, auprès de leur amiral qui continue avec calme à donner ses ordres sur la dunette ravagée.

Le Montebello est en feu ; son embossure a été coupée. Une bombe a traversé tous les ponts du Charlemagne et est venue éclater dans sa machine. La carène du Napoléon est percée à deux pieds au-dessous de la flottaison, et son maître calfat qui s’est bravement jeté à la mer a grand’peine à la tamponner. Les vaisseaux anglais embossés près des récifs qui prolongent le port à l’est, pour prendre en écharpe le fort de Constantin, ont leurs mâtures brisées et leurs murailles enfoncées par les projectiles ennemis.

L’action est générale, c’est un mugissement formidable. Les forts, les vaisseaux, le ciel, la mer, se perdent derrière une épaisse fumée. Les flots bouillonnent sous cet orage de boulets.

La batterie de la Quarantaine est écrasée, éteinte et abandonnée. Tous les efforts de l’artillerie russe sont brisés. Le magasin à poudre du fort Constantin a fait explosion.

Pendant toute la journée, le bombardement continue sans relâche. La nuit elle-même ne met pas fin au combat, car les batteries supérieures de l’ennemi redoublent de vivacité. Cependant nos vaisseaux s’éloignent un à un, comme à regret, et regagnent leur mouillage, salués par un feu de file roulant de tous les canons russes.

Ce qui nous consolait d’avoir combattu un ennemi invisible et des forts redoutables, c’est que cette diversion de la flotte avait soulagé l’armée de terre qui avait pu continuer ses travaux d’approche sans être inquiétée, mais au prix de quels dangers et de quels sacrifices !

Le vaisseau amiral, à lui seul, avait reçu 150 boulets. Trois