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la tour de cordouan.

Vent-Debout y remédia. Au lieu de transporter sa fortune hors de France, il la laissa toute au notaire, et la mit au nom de son père, à qui il écrivit ces mots :

« Pour élever Paul. Fasse Dieu qu’il ne soit pas marin et ne quitte pas sa mère ! »

Puis il partit cette fois pour toujours. Il ne devait revenir que trente ans plus tard.

Un soir, dans un café de Saint-Denis, il lut dans un journal daté du 10 septembre 1847 : « Une douloureuse nouvelle : Le capitaine de frégate, Paul de Valgenceuse, vient de mourir d’une fièvre endémique dans les parages de l’Australie, où il croisait chargé d’une mission du gouvernement. Paul de Valgenceuse était sorti un des premiers de l’École polytechnique et se destinait au service des ponts et chaussées, quand la mort de sa mère le fit changer de vocation. Il entra dans la marine où depuis il avait fait un brillant chemin. C’était un de nos officiers les plus distingués. Tous ceux qui l’ont connu comme homme et comme marin s’associeront, nous n’en doutons pas, au deuil de notre marine déjà si éprouvée.

« Paul de Valgenceuse laisse une veuve et un enfant sans fortune. On nous assure qu’il y a de par le monde un sien oncle, capitaine de vaisseau marchand qui, depuis trente ans, n’a pas revu sa famille. Si ces lignes lui tombent sous les yeux, il se rappellera peut-être cette famille qu’il a délaissée, en retrouvant un neveu à élever et à secourir. »

Le père Vent-Debout n’avait jamais entendu parler de sa famille. Il avait bien entendu citer le nom de Valgenceuse à l’ordre du jour, mais il ne pensait pas que ce fût son frère qu’il savait élève de l’École polytechnique, d’où il sort peu de marins. Parfois le souvenir de Royan lui revenait dans ses moments d’ennui, mais il le chassait bien vite et se tuait le corps et l’âme dans des voyages, où trop souvent les naufrages lui prenaient le