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six semaines dans un phare.

n’avons pas fait plus, c’est que le bon Dieu et les Russes n’ont pas voulu.

Mais l’armée est en marche et nos vaisseaux longent le littoral. Le 19 au matin, nous modérons la nôtre et nous prenons position à l’embouchure de l’Alma. Sur les hauteurs, nous apercevons l’ennemi. On distingue des tentes, des grandes masses d’infanterie et une nombreuse cavalerie échelonnée sur les bords de l’Alma. Tous nos officiers sont grimpés au plus haut des mâtures et suivent avec anxiété la marche des deux armées. Voilà les bataillons français et anglais qui s’avancent rapidement sur un front très-étendu. Devant eux est un village assez considérable, situé près d’un ravin profond ; des cosaques y mettent le feu. Comme si c’était un signal, tous les villages bâtis sur le versant gauche de la rivière sont incendiés. Un petit corps de cavalerie russe et d’artillerie légère veut barrer ce passage de feu à nos troupes, mais quelques coups de canon suffisent pour la forcer de se retirer. Trois de nos frégates, le Vauban et deux autres dont le nom m’échappe, sont placés à petite distance des ravins et les fusillent avec des obus.

Anglais et Français sont arrivés au lieu désigné pour leur campement. Les bivouacs sont établis et les grand’gardes placées. Les camps s’installent, les tentes se dressent et les feux s’allument sur toute la ligne qu’occupent les alliés. En face, on aperçoit les feux des bivouacs russes.

La nuit fut pleine d’anxiété, de fièvre et d’attente. On sentait que le lendemain la lutte serait formidable, que l’armée russe, retranchée sur ses hauteurs, ne nous livrerait pas passage et que bien du sang serait versé, avant que nos drapeaux flottent sur les crêtes de l’Alma.

L’amiral Hamelin a reçu un petit billet doux du maréchal Saint-Arnaud. Nous ne savons pas ce qu’il y a dedans, mais chacun se dit : C’est pour demain le grand branle-bas. En effet,