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six semaines dans un phare.

cela. On vous liait les poignets au-dessous des deux genoux, ce qui vous donnait la forme d’une chaise boiteuse, et on vous mettait en face d’un adversaire. Alors le combat commençait. Vous comprenez quel équilibre on pouvait avoir. Pour peu qu’on vous touchât, vous rouliez comme une boule. On se relevait si on pouvait et on s’attaquait encore, de vrais coqs !…

Quelquefois nous montions nos malades sur le pont pour les faire jouir de ces spectacles. Souvent nous en avons sauvé par ces distractions, d’autres ont rendu leur dernier soupir au bruit des rires français. Mais tous en général ne sentaient pas leurs souffrances, et s’ils enviaient le sort de leurs camarades, du moins ils ne leur reprochaient pas leur gaieté.

Enfin, la vie renaît, le fléau s’éloigne. Mais dans l’état où est notre armée, en face de l’affaiblissement des troupes et des équipages, en face de l’époque avancée de la saison, des gros temps qui peuvent à chaque instant survenir et surtout, d’une épidémie prête à renaître par l’entassement des soldats sur nos vaisseaux, l’expédition de Crimée était-elle encore possible ? Chacun se fait cette question tout bas, et un profond découragement remplace notre enthousiasme. Et pourtant, malgré toutes les objections et tous les obstacles, nos chefs confiants dans l’avenir, activaient par les moyens les plus sûrs et les plus énergiques les derniers préparatifs de cette campagne.

Le 7 septembre, par une belle mer et un vent favorables, notre flotte, portant dans ses flancs toute l’armée d’expédition, fait bonne route vers l’île des Serpents, où nous attendons la flotte anglaise. Incertains encore sur le point de débarquement, les amiraux détachent quatre frégates en éclaireurs sur la presqu’île de Chersonèse. Sur toute la côte jusqu’à Sébastopol étaient étagées les forces russes avec de l’artillerie. Elles avaient surtout pris de fortes positions sur la rivière de l’Alma. Enfin vers le milieu de la côte qui sépare l’Alma d’Eupatoria, nos éclaireurs