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six semaines dans un phare.

et sévissait, cruellement dans les rangs de notre pauvre armée, atteignit aussi peu à peu la flotte.

Le 31 juillet fut une date sinistre ; l’épidémie envahit tous les vaisseaux mouillés en rade à Baltchich et à Varna. Le même jour, le Cacique s’éloignait emmenant le général Canrobert qui allait rejoindre à Kustendjé sa division fatalement engagée dans des marais pestiférés, et où il devait la retrouver écrasée par le fléau mortel.

Ce fut alors, que commença pour nous le triste rôle de prendre les cholériques et de les transporter dans un lieu plus sain. Pendant ces lugubres voyages, le moral des marins ne se démentit pas un instant au contact de ces agonies. Frappés nous-mêmes, nous semblions oublier nos propres souffrances pour secourir les malheureux soldats entassés sur les ponts.

Dans tous les rangs comme dans tous les cœurs, chez les chirurgiens de terre ou de mer qui se multipliaient pour arracher des victimes au fléau, chez les aumôniers de l’escadre et de l’armée qui passaient leurs jours et leurs nuits penchés sur le lit des agonisants, les nobles exemples se retrouvaient partout. Ainsi, pendant que le maréchal Saint-Arnaud et l’amiral Hamelin, de concert avec l’état-major anglais, préparaient l’expédition de Crimée, le choléra, à défaut de l’ennemi que nous n’avions encore fait qu’entrevoir, continuait ses ravages en nous enlevant cent hommes par jour. Pour peu qu’il durât quelque temps, c’en était fait de cette armée si pleine d’ardeur, et d’énergie, et surtout de nos bâtiments sur qui l’invasion du choléra était soudaine et foudroyante.

Il fut décidé que tous les vaisseaux, excepté le Henri IV, le Jean-Bart et le Montebello restés à Varna, prendraient immédiatement la mer pour chercher à arrêter les progrès du fléau. L’escadre croiserait dans le sud. Le 11 août, jour de l’appareillage, l’épidémie était dans toute sa force, et certes la flotte russe