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six semaines dans un phare.

des batteries, pas un seul canon. Chose curieuse ! pas un de nos matelots n’a été tué ou blessé par les projectiles de l’ennemi, alors que les nôtres faisaient ravage dans ses rangs et son arsenal.

Mais, comme disait l’amiral Hamelin, ce n’était qu’une petite affaire. D’Odessa on fit voile vers Sébastopol, où on savait qu’était ancrée la flotte russe, à laquelle on voulait offrir le combat. De son côté la marine russe, — du moins c’étaient les prisonniers russes qui l’affirmaient, — attendait avec impatience notre arrivée pour venir à notre rencontre et nous livrer bataille. Cet espoir nous électrisait et partout régnaient cette activité et cette fièvre d’impatience qui précèdent les grands événements.

Le temps était magnifique, et nous fûmes bientôt en vue de Sébastopol, mais les vaisseaux russes restèrent chez eux. Le seul bénéfice qu’on tira de cette croisière fut de bien examiner, et tout à son aise, le port et les fortifications de Sébastopol.

Figurez-vous la patte d’un immense homard, dont les pinces seraient ouvertes ; sur chaque pince mettez onze forts, cinq à gauche, six à droite, les uns en pierre avec trois lignes de batteries casematées et surmontées d’une batterie barbette sans embrasures, ce qui lui permet de battre dans tous les sens, d’autres en terre sans embrasures, enfin les deux derniers, situés sur la hauteur de chaque côté du port, invisibles du pont d’un bâtiment, car on les découvre à peine du haut d’une mâture. Tenez, comme le fort Napoléon, à Toulon ! La ville, bâtie en amphithéâtre, est derrière cette grande patte entourée de murs et de fossés. Le fond du port est défendu par une ligne de cinq vaisseaux embossés, dont deux à trois ponts. Ajoutons à cela que l’entrée est impossible en temps de guerre, quand même il n’y aurait pas 962 bouches à feu pour la défendre !

Voilà cette ville telle qu’elle m’est apparue et telle que nous l’ont dépeinte nos officiers. La flotte russe s’obstinant à ne pas