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cartahut.

vue à Malte, vint nous rejoindre et nous allâmes mouiller à l’entrée du détroit des Dardanelles.

Pendant les longs mois qui retinrent au mouillage nos escadres inactives, — notre amiral, — l’ancien préfet de Toulon, M. Hamelin, un bon celui-là ! — familiarisait nos équipages avec les manœuvres de voiles et les exercices d’artillerie et de mousqueterie. Nous avions beaucoup de conscrits, mais nous comptions aussi beaucoup de marins du littoral, parmi lesquels étaient de vieux matelots qui avaient fait l’expédition d’Afrique.

Ce qui nous ennuyait le plus et gâtait notre joie d’un prochain combat sur mer, c’était de savoir que nous y serions aidés par les Anglais. Et pourtant, il faut tout dire, ce sont de joyeux compagnons au feu, comme à table. Jamais je n’aurais cru ça d’eux. Et quels gabiers, mes amis !…

— Ce sont tes amis, dit Chasse-Marée, n’en parlons plus.

— Grand-papa, reprit Cartahut avec un certain respect, les ennemis de la France ne sont pas mes amis, mais tous ceux, quels qu’ils soient, qui combattent sous notre drapeau, deviennent nécessairement nos amis. Le jour où nous nous battrions contre l’Angleterre avec les Russes pour alliés, dame ! les Russes seraient les premiers marins du monde. Écoutez pourtant, ce que je vous ai dit des Anglais, je le pense, foi de Cartahut et vous le pensez aussi, malgré tout.

Bref, ce fut le 4 novembre que nous apprîmes la première attaque des Russes contre les Turcs sur le Danube et que nous remontâmes vers Constantinople pour entrer dans la mer Noire, neuf vaisseaux français, sept anglais. Le vaisseau amiral jeta l’ancre devant Béicos.

Ah ! mes amis, vous, qui avez fait tant de voyages, je vous défie de me citer un spectacle plus imposant que ce paysage d’Orient qui se déployait devant nous dans toute sa splendeur, bien que l’automne eût jeté déjà sur la verdure des teintes sombres et