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six semaines dans un phare.

donné la parole, il se leva, salua, toussa, s’assit et se releva avant de commencer : puis il commença ainsi :

— Capitaine, monsieur Paul, mes amis, c’est moi Cartahut, ou plutôt Jules Roch, dit Cartahut, ex-marin de la marine impériale. Vous me voyez, je ne suis pas dans un sac. J’ai bon pied, bon œil, bon estomac, le tout au service des amis. Je n’ai pas un seul défaut…

Et comme un murmure d’incrédulité circulait autour de lui, il reprit vivement :

— C’est peut-être parce que je les ai tous, mais, foi de Cartahut, je n’en sais rien, et quand on ne se sait pas vicieux, on est bien près de ne pas l’être.

Du reste, ce que j’ai à dire pour satisfaire aux demandes du capitaine — et il se leva pour saluer — ne me concerne pas. C’est vous dire que je vais vous raconter tout ce que j’ai vu sans vous parler de moi, du moins rarement. Cela tient à ce que j’ai beaucoup entendu parler de choses que je n’ai pas vues, mais que j’ai beaucoup vu de choses sans y être mêlé directement.

— Mais, va donc, disait Clinfoc qui enrageait déjà, rien que de penser qu’on allait parler de la marine militaire.

— Donc, le 23 mars 1853, nous quittâmes Toulon pour nous rendre sur les côtes de la Grèce. Notre escadre était forte de huit vaisseaux et de plusieurs vapeurs. Nous savions bien qu’il y avait des bruits de guerre, et que nous n’allions pas à la pêche à la morue, mais nous ignorions le pourquoi de la chose. En entendant causer les officiers, on apprit que nous allions protéger le Sultan contre la Russie.

Comme homme, je me moquais du grand turc : mais comme marin, ça m’allait.

Nous restâmes là deux mois à louvoyer ; il paraît que ça n’amusait pas les Grecs.

Enfin nous mîmes à la voile. La flotte anglaise que nous avions