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le père la gloire.

aperçut un gros navire à vapeur s’avancer droit sur nous à toute vitesse.

Steamer, faites attention, cria-t-elle.

Ce cri ne reçut aucune réponse, et au moment où elle le répétait, le navire était ébranlé dans toutes ses membrures par un choc terrible.

— Tout l’équipage sur le pont et aux pompes ! cria le capitaine qui arrivait réveillé par les cris de la vigie, au moment où son navire était défoncé par un vapeur inconnu, qui disparut rapidement sans porter la moindre attention aux cris d’épouvante qui venaient de notre bâtiment abordé.

Le capitaine se voit abandonné. Le travail des pompes était inutile. Le vaisseau sombrait. Jugez du réveil des passagers ! Une panique terrible s’ensuivit, et, si le capitaine avait perdu son sang-froid, il n’aurait pu sauver personne. Les canots sont mis à l’eau pour sauver d’abord les femmes et les enfants, pendant que le maître d’équipage tirait des fusées de détresse. Alors, dans une lutte désespérée, fous de terreur, les passagers se précipitent dans les embarcations. Que de malheureux sont ainsi noyés ! que d’enfants écrasés ! que de femmes mortes de peur ! Enfin un remorqueur a vu nos signaux ; il arrive, et nous le voyons secourir les canots, qui, trop chargés, allaient à la dérive et menaçaient de couler.

J’étais encore sur le pont, mais j’avais une figure si comique que cela fit sourire le maître d’équipage. Songez donc que toute ma pacotille, toutes mes économies, tous mes effets étaient restés dans ma cabine, et que je n’avais pu descendre les chercher. Ah ! ma foi, je restais là, si le capitaine ne m’avait ordonné de suivre le maître d’équipage. Il fallut même qu’il me menaçât de son revolver. J’étais comme un hébété. Je descendis dans le canot, et à peine y étais-je, qu’en retournant la tête je vis, à la lueur des feux allumés par le remorqueur, disparaître le navire