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six semaines dans un phare.

Le petit Paul avait deux ans quand son aîné voulut reprendre sa place au foyer de la famille. La place était prise. On ne comptait pas sur le marin. Le cœur des parents, sans se fermer tout à fait, n’avait laissé qu’une très-petite ouverture pour laisser passer leur ancienne affection. Le premier était toujours aimé ; il n’était plus le chéri. C’était le fils, ce n’était plus le bijou. Enfin c’était un homme, et on avait un enfant.

Ce fut une grande douleur pour le marin quand il comprit le peu de place qu’il avait dans l’affection de sa mère. Il se prit à détester son frère, et, honteux de cette haine invincible qui lui mordait le cœur comme un serpent, il s’enfuit de la maison.

Son titre d’élève de la marine royale le fit bien venir à la Rochelle où il trouva passage sur un trois-mâts marchand à titre de second. Dix ans après, il obtenait le brevet de capitaine au long cours et voyageait pour son compte. Cette fois, il fut mieux reçu à la maison. Voici pourquoi.

Paul avait grandi. C’était un bel enfant, peut-être même au type un peu trop efféminé. Sa pâleur et ses cheveux blonds, sa taille frêle et élancée, son regard naïf et ingénu semblaient lui donner tous les reflets de sa mère dont il était la vivante image. Auprès de Paul, Vent-Debout avait l’air d’un Quasimodo sans bosse à côté d’un Esmeralda. La laideur de l’un faisait ressortir la beauté de l’autre. La rudesse du marin contrastait avec la douceur et les manières polies de l’enfant.

Comme bien vous le pensez, Paul était l’adoration des vieux parents. Mais dans tout ciel bleu, il y a un nuage, si petit qu’il soit. Paul qui avait treize ans, dont son père aurait voulu faire un notaire ou un médecin, et sa mère, un prêtre ou un professeur, résistait à tous leurs projets avec une seule idée, celle d’être marin, — comme son frère.

Les vieux parents étaient désolés. L’arrivée de leur fils aîné leur rendit du courage. Ils essayèrent de mettre de leur côté