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le père la gloire.

dix hommes armés ; le deuxième était à la porte d’un grand village ; inutile de dire qu’il était défendu par des hommes armés, toujours en éveil ; le troisième était sur la lisière d’une forêt de cèdres, où les matelots abattaient les arbres dont ils avaient besoin.

Malgré toutes les preuves d’amitié des insulaires, les vieux matelots et surtout M. Crozet gardaient leur défiance primitive. Ils les savaient cruels et vindicatifs, et de plus ils les soupçonnaient d’être anthropophages. Par malheur, M. Marion ne voulait rien entendre. Croyant à cette amitié des sauvages, il se faisait un plaisir de vivre avec eux.

Un soir le capitaine, deux officiers, un volontaire, le capitaine d’armes et dix matelots ne rentrèrent pas à bord. Les relations étaient si parfaites avec les indigènes, que nul ne s’en inquiéta.

Le lendemain on met une chaloupe à la mer pour faire l’eau et le bois nécessaires à la consommation du jour. La chaloupe n’étant pas de retour à l’heure habituelle, le lieutenant Crozet, les sourcils froncés, pâle, le cœur oppressé, monta sur le pont et regarda avec anxiété cette île funeste comme pour lui demander compte de son capitaine et de ses hommes. Tout à coup il crut voir un homme se jeter à la nage. Il prit sa lunette d’approche et reconnut un de ses matelots. Un canot, qu’il fit mettre à la mer sur-le-champ, recueillit le malheureux au moment où, à bout de forces, il allait disparaître sous l’eau.

Or, voici ce qu’il raconta à ses camarades effrayés, dès qu’il fut revenu à lui :

— Nous arrivons. Les insulaires nous prennent sur leurs épaules pour nous épargner de faire le chemin à pied ; mais au moment où, occupés à couper du bois, nous leur tournions le dos, ils fondent sur nous à coups de lances. En moins de quelques minutes, dix matelots sont tombés sous leurs coups. Moi, j’eus