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six semaines dans un phare.

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De plus, la petite embarcation leur permettait quelques excursions sur la Gironde et l’Océan. Par le beau temps, le Polar star (l’Étoile polaire) — c’était le nom du bateau — était toujours en mer, et les deux marins touchaient du pied et de la main les points principaux du splendide panorama qui se déroulait sous leurs yeux du haut de leur terrasse.

Panorama splendide s’il en fût !… En face s’élève majestueux le phare de Cordouan, que la mer a laissé seul sur son rocher en séparant son île de la pointe de Grave ; à côté le Verdon, bâti au milieu des dunes et des marais salants, çà et là des îles, des bancs de sable, des phares ; à droite, Royan ; à gauche, Suzac et Méchers ; partout des dunes pleines d’ajoncs et de pins, des prairies couvertes d’eupatoires et d’iris, des marais, des étangs, des routes bordées de peupliers, et dans le fond opposé à la mer, des forêts de chênes-liéges, abritant les vignobles du Médoc !

Mais nous reverrons ces paysages en détail, il est temps de faire une plus ample connaissance avec nos deux marins.

M. de Valgenceuse, à l’époque où remonte cette histoire, c’est-à-dire vers 1860, pouvait avoir entre soixante-dix et soixante-quinze ans. Lui-même aurait été, je crois, très-embarrassé de préciser son âge. La vie des marins a de ces anomalies. Il y en a dont l’âge ne remonte pas plus haut que leur entrée comme mousse sur un bateau à voiles. Le nôtre n’était pas tout à fait dans ce cas, mais soit paresse, soit insouciance, il ne se préoccupait pas d’une année de plus ou de moins à son avoir.

Il n’avait eu qu’un amour : son vaisseau, qu’une pensée : la mer. Aujourd’hui, il se reposait. Donc il était mort et les années ne comptaient plus pour lui.

Ce vieillard, type du vrai marin, était petit, sec, nerveux. En marche, au repos, assis ou couché, son corps avait toujours ce mouvement fébrile d’une corvette à l’ancre. Sa tête expressive,